Edito

À nos responsabilités !

Il y a plus d’un an maintenant que le Cha-U, Collectif de lutte contre le harcèlement à l’Université fondé à l’initiative de personnels et d’étudiant·es de l’UL, a commencé à travailler. Il compte aujourd’hui une centaine de membres, issus de nombreuses composantes de notre université et déterminés à mener la lutte sur un double front : celui de la réflexion, collective et pluridisciplinaire, et celui de l’action politique – avec pour horizon l’élaboration de propositions concrètes qui pourraient permettre à notre institution (c’est-à-dire aussi à nous-mêmes) de s’armer contre les effets dévastateurs d’un système de dominations qui trop souvent s’ignorent.

C’est dans cette perspective que l’Atelier du Cha-U, qui comptabilise déjà une dizaine de séances de travail, s’emploie à penser les phénomènes de harcèlement et de violences sexistes et sexuelles (VSS), afin de comprendre les logiques à l’œuvre dans le contexte singulier de l’ESR et en inférer les types de réponses à apporter. Sa réflexion s’étaye à la fois sur des analyses théoriques et sur les observations faites sur le « terrain » que constitue notre lieu de travail. Les étudiant·es ou les personnels qui sollicitent notre cellule d’écoute nous sont parfois adressé·es par des responsables de filières ou de composantes désemparé·es, faute de formation suffisante sur ces sujets, et pas toujours au fait de l’empan de leurs responsabilités. Tous et toutes attestent à la fois des violences subies et des difficultés à trouver un dispositif institutionnel opératoire, les signalements étant encore peu suivis d’effets. Ces témoignages, qui nous donnent une vision plus globale de l’ampleur du phénomène de harcèlement à l’UL, nous permettent aussi de mesurer l’importance des obstacles et des freins personnels et institutionnels. Pour lever ces obstacles, les actions de « sensibilisation » ne suffiront pas : c’est de la « responsabilisation » de chacun·e (et de la solidarité de tous·tes) dont nous avons besoin.

Malgré les difficultés d’un travail accompli bénévolement et sans moyens matériels, le Cha-U s’est imposé à l’UL comme un collectif qui compte. Ainsi, lors des élections présidentielles, le questionnaire que nous avons élaboré et soumis à chaque candidat·e a permis que les questions de harcèlement et de VSS figurent (parfois tardivement) dans chacun des programmes, et notre nouvelle Présidente a décidé d’en faire un axe fort de sa politique en matière de vie universitaire. La création d’un Comité Égalité-Diversité-Inclusion (piloté par Julien Dufour) est un bon signe, de même que la volonté d’étendre la création de cellules EDI à l’ensemble des composantes (elles sont encore peu nombreuses).

Si l’on peut se réjouir de ces initiatives, qui bénéficient d’un contexte général favorable et d’une politique ministérielle volontariste (du moins en apparence), il faut espérer qu’elles ne resteront pas de simples effets d’affichage, comme peut le faire légitimement craindre un mode de gouvernance universitaire trop managérial. Car des signaux inquiétants perdurent, qui disent combien le chemin sera long avant que les réponses apportées soient à la hauteur des enjeux. Ainsi l’élection de la nouvelle Présidente aurait-elle pu être l’occasion d’un renouvellement de la Mission Égalité-Diversité-Inclusion de l’UL. Ainsi les cellules EDI naviguent-elles à vue, dans les composantes, puisqu’aucun cahier des charges ne leur a été donné. Non seulement leurs missions n’ont pas été circonscrites, mais la Mission EDI de l’UL a eu recours aux services d’une société privée (Accordia) pour savoir comment elles fonctionnent depuis trois ans… comme si cela ne relevait pas de ses responsabilités que d’en penser l’organisation. Quant au bénéfice réel de cet audit coûteux, il interroge, à l’heure où les cellules EDI travaillent gratuitement, ou presque, et si activement qu’en tout état de cause, les quelques membres du dispositif de signalement « Harcèlement sexuel et Discrimination » de l’UL (qui ne compte à ce jour aucun·e juriste) ne pourraient traiter en temps et heure l’ensemble des problèmes dont ces cellules sont saisies au quotidien.  On nous annonce une refonte de ce dispositif – tant mieux ! À charge pour nous de rester vigilant·es concernant son évolution prochaine et de peser sur les choix politiques à venir.

Bref, l’année 2023 sera combative. Elle a débuté par la demande, faite à la présidence de notre université, d’adhésion de l’UL à l’Institut du Genre (IDG) et par l’attribution, le lundi 23 janvier, à l’instigation de collègues par ailleurs membres du Cha-U, d’un Doctorat honoris causa à la Professeuse Juliet Mitchell, féministe historique et fondatrice du Centre d’études sur le genre à l’université de Cambridge. Nous nous réjouissons de ce que la Présidente de l’UL ait saisi cette occasion pour annoncer, au cours de la cérémonie, l’adhésion à l’IDG et sa volonté de valoriser les études de genre à l’Université de Lorraine. Ce sont là des pas que l’on espère décisifs et porteurs d’un véritable renouvellement en matière de lutte contre le harcèlement, les discriminations et les VSS.

Le féminisme, disait Simone de Beauvoir (lectrice de Juliet Mitchell), « c’est une manière de vivre individuellement et de lutter collectivement » : cette double exigence, toujours aussi nécessaire, le Cha-U la fait sienne pour les combats qu’il mène.